Est-ce qu'une marque peut évoquer une indication géographique ?

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Résumé
Depuis un nouveau courant de jurisprudence, il semble désormais impossible d’enregistrer une marque qui évoque une indication géographique ou en reprend certains éléments constitutifs, et cela, même si le déposant est un producteur de produits bénéficiant de cette indication géographique.


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La question de savoir si une marque commerciale peut évoquer une indication géographique[1] est aujourd’hui au cœur d’un nouveau courant de jurisprudence.

Dans une affaire récente[2], une société, dénommée COGNAPEA (SCEA) a déposé, le 3 novembre 2021, un signe complexe COGNAPEA auprès de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) pour désigner les « Eaux de vie bénéficiant de l'indication géographique "COGNAC" ».

Le Bureau National Interprofessionnel du COGNAC (BNIC) ainsi que l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) ont conjointement formé opposition à l’enregistrement de cette marque sur la base de l’indication géographique « COGNAC », reconnue en France en tant qu’appellation d’origine contrôlée et enregistrée au niveau européen en tant qu’indication géographique relative à une boisson spiritueuse.


Le BNIC ainsi que l’INAO ont fondé leur opposition sur les dispositions de l’article 21.2. b) du Règlement (UE) 2019/787 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019[3], qui dispose que « la protection des indications géographiques relatives aux boissons spiritueuses, à savoir : « Les indications géographiques protégées au titre du présent règlement sont protégées contre : (….) b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que «genre», «type», «méthode», «façon», «imitation», «goût», «manière» ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ».


L’INPI a estimé que ce signe portait atteinte, par évocation, à l’indication géographique « COGNAC » et a rejeté totalement la demande d’enregistrement.

Pour déterminer l’existence d’une « évocation » de l’indication géographique « COGNAC », l’INPI s’est fondé sur la réaction présumée du consommateur.

Concrètement, l’INPI a cherché à savoir si le consommateur pouvait établir un lien suffisamment direct et univoque entre le signe « COGNAPEA » et l’indication géographique « COGNAC » de telle manière que le consommateur garde principalement à l’esprit l’indication géographique « COGNAC ».

Dans le cadre de cette décision, l’INPI a rappelé des précisions importantes sur la notion d’« évocation », considérant qu’il pouvait y avoir « évocation », sans risque de confusion  entre les signes en présence ou encore sans que les produits ou services désignés par ces signes ne soit identiques ou similaires.


Il a encore précisé que même appliquée à des eaux-de-vie de vin respectant le cahier des charges de l’indication géographique « COGNAC », une telle évocation partielle de cette indication géographique devait être interdite, dans la mesure où elle est susceptible d’une part de la dénaturer en ne la reproduisant pas dans son ensemble et d’autre part d’entrainer un affaiblissement de sa réputation en la banalisant.

Pour rejeter la demande d’enregistrement, l’INPI a tenu compte de l’ensemble des éléments pertinents suivants :


  • L’incorporation partielle de l’indication géographique dans le signe contesté.
En l’occurrence, l’INPI a considéré que l’indication géographique invoquée « COGNAC » est partiellement incorporée dans la dénomination « COGNAPEA » du signe contesté.

  • Une parenté phonétique et/ou visuelle entre les signes et/ou une proximité conceptuelle.
En l’occurrence, l’INPI a considéré qu’il existe des ressemblances visuelles et phonétiques entre les signes en présence. L’INPI a constaté en effet que « cette longue séquence visuelle et phonétique commune COGNA se situe pareillement en attaque des dénominations et en représente proportionnellement la majeure partie (quasi-totalité de l’indication géographique COGNAC, deux-tiers de la dénomination COGNAPEA) ».

  • Un caractère identique ou similaire entre les produits couverts par l’indication géographique et les produits ou services désignés par le signe contesté.
En l’occurrence, l’INPI a constaté que les produits désignés par le signe litigieux sont identiques au produit bénéficiant de l’indication géographique.

Compte tenu de ce qui précède, l’INPI en a conclu que le signe contesté « COGNAPEA » « apparaît manifestement de nature à créer, dans l’esprit du consommateur concerné, un lien direct et univoque avec la dénomination protégée COGNAC invoquée, de telle sorte que ce consommateur aura immédiatement et directement à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette indication géographique », à savoir le cognac.

Conclusion
Cette décision, qui se base sur la jurisprudence développée par la CJUE depuis 1999 et plus particulièrement sur l’arrêt Champanillo[4], tend manifestement à étendre encore un peu plus le périmètre de la notion juridique d’évocation, car désormais mêmes les producteurs de produits bénéficiant d’une indication géographique se voiten interdire l’enregistrement d’un signe contenant l’indication géographique.

Très récemment, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 26 mai 2023[5], a confirmé l’impossibilité d’enregistrer des marques composées totalement ou partiellement d’indications géographiques, y compris pour les personnes bénéficiant de l’indication géographique.

En l’occurrence, la Cour d’appel de Paris s’est également fondée sur l’arrêt Champanillo précité pour affirmer que les marques « NEWRHÔNE » déposées par un producteur de vins de Côtes du Rhône pour désigner des vins bénéficiant tous de l’appellation d’origine protégée (OAOP) « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages » devaient être annulées, car évocatrices de l’appellation d’origine « Côtes du Rhône ».

La Cour a rappelé, à cette occasion, que l'usage de l'appellation d'origine protégée, sous une forme imitante ou évocatrice, est interdit, y compris pour un vin bénéficiant de ladite appellation.

Selon la Cour « un vin conforme à un cahier des charges et bénéficiant d'une appellation d'origine ne peut faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée (comme indication géographique), tout autre usage (par exemple, à titre de marque) n'étant pas autorisé, qu'il s'agisse d'une imitation ou d'une évocation et que cette imitation ou évocation porte sur l'un ou l'ensemble des composants d'une appellation ».

Ainsi, elle vise à éviter toute tentative de privatisation de l’indication géographique, y compris par des personnes commercialisant des produits bénéficiant de l’indication géographique ou encore par des personnes exploitant une activité éloignée du produit bénéficiant de l’indication géographique.

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Pour aller plus loin sur la notion « d’évocation d’indication géographique »
Tout d’abord, il convient de rappeler que l’on « (…) entend par « indication géographique » :
a) Les appellations d'origine définies à l'article L. 115-1 du Code de la consommation ;
b) Les indications géographiques définies à l'article L. 721-2 ;
c) Les appellations d'origine et les indications géographiques protégées en vertu du droit de l'Union européenne »[6]. ;

Ensuite, précisons que la notion d’évocation apparait dans trois règlements européens[7] relatifs à la protection des indications géographique en matière de produits agro-alimentaires, de vins et de spiritueux

Depuis 1999, la CJUE a été sollicitée à plusieurs reprises dans le cadre de questions préjudicielles pour éclairer les juristes sur la façon d’apprécier concrètement l’évocation d’une indication géographique.  

Ces affaires sont rappelées ci-dessous :
Décisions de la CJUEDélimitation de la notion « d’évocation » par la CJUE



CJCE 4 mars 1999 aff. C-87/97 Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola c/ Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co KG

(Arrêt Cambozola)
Signes en présence : « CAMBOZOLA »  / « GORGONZOLA » 
En l’espèce, la Cour a considéré qu'il y avait évocation de la dénomination « GORGONZOLA » par le terme « CAMBOZOLA » en raison d’une parenté phonétique et visuelle manifeste entre les signes en présence : reprise des deux mêmes dernières syllabes de la dénomination protégée par le signe contesté et même nombre de syllabes que celle-ci.
La Cour a encore précisé que « la mention éventuelle de l'origine véritable du produit sur son emballage ou d'une autre manière n'a aucune incidence ».
La Cour a précisé que « la notion d'évocation recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d'une dénomination protégée, en sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l'esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l'appellation ». La Cour écarte donc la notion « de risque de confusion entre les produits concernés » dans l’appréciation de la notion « d’évocation ».

CJCE 26 févr. 2008, aff. C-132/05, Commission c/ Allemagne, pt 78, Rec. CJCE, p. I -957

(Arrêt Parmesan)
Signes en présence : « PARMESAN » / « PARMIGIANO REGGIANO »
La Cour a rappelé qu’il pouvait y avoir évocation avec l’AOP « PARMIGIANO REGGIANO » en l’absence de risque de confusion entre les produits concernés.
En l’espèce, la Cour a constaté une proximité conceptuelle et une similitude phonétique et visuelle entre les signes en présence. La Cour en conclut qu’en présence d'un fromage à pâte dure, râpé ou destiné à l'être, revêtu de la dénomination « parmesan », le consommateur aurait à l'esprit, comme image de référence, le fromage bénéficiant de l'AOP, à savoir « PARMIGIANO REGGIANO ».

CJUE 14 juill. 2011, affaires C-4/10 et C-27/10, Bureau national interprofessionnel du cognac

(Arrêt COGNAC)
Signes en présence : COGNAC et deux marques figuratives ayant la forme d’une étiquette de bouteille et comportant pour la première la mention «COGNAC L & PHIENOA KONJAKKIA Lignell & Piispanen Product of France 40 % Vol 500 ml» et pour la seconde la mention «KAHVI-KONJAKKI Cafe Cognac Likööri – Likör – Liqueur 21 % Vol Lignell & Piispanen 500 ml».
Faisant référence à l’affaire Cambozola précitée, la Cour a considéré que l’enregistrement et l’utilisation d’une marque contenant l’indication géographique « COGNAC », ou un terme correspondant à cette indication et sa traduction, pour des boissons spiritueuses ne répondant pas aux spécifications requises par cette indication pouvait être qualifiée d’«évocation».



CJUE 7 juin 2018, aff. C-44/17, Scotch Whisky Association c/ Michael Klotz

Signes en présence : GLEN BUCHENWALD / GLEN
Pour mémoire, le terme « Glen » est très souvent utilisé dans les noms de whiskys écossais
La Cour est revenue sur la définition de l’évocation émise dans l’arrêt Verlados en indiquant que « l'incorporation partielle d'une indication géographique protégée dans le signe litigieux ne constitue pas une condition impérative », pas plus que « l'identification d'une parenté phonétique et visuelle de la dénomination litigieuse avec l'indication géographique ».
La Cour s’est attachée ici, tout particulièrement, sur le lien qu'établit le consommateur entre l'indication géographique et le terme litigieux, quel qu'il soit, ce lien devant être direct et univoque. Autrement dit, le consommateur doit avoir « directement » à l'esprit l'indication géographique protégée.
Reprenant l’arrêt Cambozola, la Cour a réaffirmé que l'éventuelle mention du lieu d'origine véritable du produit litigieux (en l'espèce, « Berglen ») n’écartait en aucune manière l’évocation de l’indication géographique
CJUE 2 mai 2019, aff. C-614/17, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego c/ Industrial Quesera Cuquerella SL, Juan Ramón Cuquerella Montagud,

(Arrêt « MANCHEGO »)
Signes en présence : « ADARGA DE ORO », « SUPER ROCINANTE » ET « ROCINANTE » / QUESO « MANCHEGO »
La question ici était de savoir si des signes tels que la dénomination « rocinante » ou l'image du personnage littéraire de Don Quijote de la Mancha évoquaient le fromage couvert par l'AOP « queso manchego ».
La Cour va préciser que des signes figuratifs peuvent, à l’instar de signes verbaux, être susceptibles de rappeler directement à l'esprit du consommateur, comme image de référence, le produit bénéficiant d’une indication géographique. C’est la proximité conceptuelle avec l’indication géographique qui est ici prise en compte.
La Cour précise encore qu’il convient de prendre en considération, dans l’appréciation de la notion d’évocation, les consommateurs européens, y compris les consommateurs de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de la dénomination protégée ou auquel cette dénomination géographique est liée et dans lequel il est majoritairement consommé. Ce faisant, l’évocation à une indication géographique peut être appréciée au regard des consommateurs d’un Etat membre de l’U.E !



CJUE 9 sept. 2021, aff. C-783/19, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne c/ GB,

(Arrêt CHAMPANILLO)
Signes en présence : « CHAMPANILLO » / CHAMPAGNE »
La Cour rappelle ensuite que l’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, l’incorporation partielle de l’appellation protégée, la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en résultant, et même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination.
La Cour précise  enfin que l’« évocation » visée à cette disposition n’est pas subordonnée à la constatation de l’existence d’un acte de concurrence déloyale, dès lors que cette disposition institue une protection spécifique et propre qui s’applique indépendamment des dispositions de droit national relatives à la concurrence déloyale.
La Cour rappelle que l’« évocation » d’une part, n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soit identique ou similaire et, d’autre part, est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP.

Conclusion
Le recours à la proximité phonétique, visuelle et conceptuelle dans l’appréciation de l’évocation d’une indication géographique n’est pas sans rappeler des critères appréciés par les tribunaux dans des affaires de contrefaçon de marques par imitation.

Mais le parallélisme avec le droit des marques s’arrête là, car l’appréciation de l’évocation d’une indication géographique n’implique pas de risque de confusion pour le consommateur, contrairement à l’imitation de marque.

La notion d’évocation d’une indication géographique se rapprocherait d’avantage de l’atteinte à une marque de renommée, qui n’implique pas de démontrer un risque de confusion mais le fait que le public soit conduit à établir, en raison d’éléments de ressemblance, un lien entre les signes en présence de nature à mettre à profit la renommée de la marque.

Néanmoins, même s’il existe des ressemblances avec le droit des marques, la protection des indications géographiques relève d’un régime distinct.

La jurisprudence évoquée précédemment et suivie par les juridictions nationales et l’INPI démontre que l’évocation d’indication géographique peut provenir d’éléments verbaux similaires ou non à l’indication géographique, d’éléments figuratifs utilisés pour désigner des produits bénéficiant de l’indication géographique ou de produits / services différents.


Sources
  • « Un an de droit des marques et des appellations d’origine dans le secteur vitivinicole », Jocelyne Cayron, Maitresse de conférences, Aix - Marseille Université Centre de droit Économique (EA 4224), Faculté de Droit et de Science Politique, Directrice du Master Droit rural des affaires, Revue propriété industrielle, n° 9, sept. 2023, Lexis Nexis ;

  • « Évocation à rebours, en matière d’indications géographiques », Théodore Georgopoulos, Directeur du programme Vin & Droit – Chaire Jean Monnet (Université de Reims), Président de l’Institut « Georges Chappaz » de la Vigne et du vin en Champagne, Revue droit rural n° 1, janvier 2023, Lexis Nexis ;

  • « Réflexions autour de la notion d’évocation en matière d’indications géographiques », Caroline Le Goffic, Maitre de conférences HDR Université de Paris – Membre associé du laboratoire de recherche du CEIPI, Légipresse 2020 p.61.



[1] Art. L. 722-1 du Code de la propriété intellectuelle
[2] Op 22-0433, 26/08/2022
[3] Article 21 2. b) du Règlement (UE) 2019/787 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019
[4] CJUE 9 sept. 2021, aff. C-783/19, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne c/ GB,
[5] Cour d'appel Paris Pôle 5, chambre 2, 26 Mai 2023 Répertoire Général : 21/09232

[6] Article L. 722-1 du Code de la propriété intellectuelle
[7] Règl. UE n° 1151/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 21 nov. 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, JOUE, n° L 343, 14 déc., p. 1 // Règl. UE n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 déc. 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, JOUE, n° L 347, p. 671 // Règl. UE n° 2019/787 du Parlement européen et du Conseil du 17 avr. 2019 concernant la définition, la désignation, la présentation et l'étiquetage des boissons spiritueuses, l'utilisation des noms de boissons spiritueuses dans la présentation et l'étiquetage d'autres denrées alimentaires, la protection des indications géographiques relatives aux boissons spiritueuses, ainsi que l'utilisation de l'alcool éthylique et des distillats d'origine agricole dans les boissons alcoolisées, et abrogeant le règlement (CE) n° 110/2008, JOUE, n° L 130, 17 mai, p. 1

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