L'application douloureuse au sein de l'U.E. du droit voisin des éditeurs de presse dans l'univers numérique
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Rédigé le 07/07/2022
Rappel des faits
Depuis de nombreuses années, les moteurs de recherches et agrégateurs de presse tirent des revenus publicitaires extrêmement élevés à travers le référencement des contenus produits par les éditeurs et agences de presse et de leurs contenus annexes (mots clés, photographies, etc.).
De leur côté, les éditeurs et agences de presse souffrent, depuis de nombreuses années, de l’exploitation non rémunérée de leurs contenus par les moteurs de recherches et agrégateurs de presse. Ainsi, non seulement les recettes publicitaires proviennent aujourd’hui majoritairement d’Internet mais également, sur les 3,5 milliards de recettes publicitaires réalisées sur Internet, 2,4 milliards vont vers les GAFAM. En outre, « les numéros vendus connaissent une chute de 40 %, représentant une perte de 3 milliards pour la presse ces 10 dernières années »[1].
Entre 2012 et 2014, certains pays européens (l’Allemagne, l’Espagne et la France) ont adopté une loi nationale protectrice des éditeurs et agences de presse. Mais, à chaque fois, les agrégateurs de presse et les moteurs de recherches, parmi lesquels Google, ont purement et simple refusé d’appliquer ces règlementations nationales imposant aux éditeurs et agences de presse un véritable chantage : renoncer à demander l’application du droit ou ne plus bénéficier de leurs services.
La France, depuis une dizaine d’années, mène un travail au sein de l’Union Européenne pour rallier d’autres pays européens, notamment l’Italie, la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, etc., à ses idées relatives à la protection des éditeurs et agences de presse. Finalement, un projet de Directive de l’U.E. sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique est proposé en septembre 2016 et adopté le 26 mars 2019 par le Parlement européen, après deux ans et demi d’intenses négociations et lobbying. Cette Directive crée un droit voisin des éditeurs et agences de presse destiné à les rémunérer pour la réutilisation de leur production par des prestataires de services de la société de l’information, à l’instar de Google. Néanmoins, cette règlementation ne s’applique pas à l’utilisation de liens hypertextes, de mots isolés, de courts extraits, aux rappels de simples faits rapportés dans les publications de presses, aux utilisations privées ou non commerciales par des utilisateurs individuels. (Cf. art. 15 de la Directive).
Le 24 juillet 2019, soit quelques mois après l’adoption de la Directive, la France vote une loi de transposition. Ce texte confère aux éditeurs et agences de presse le droit d’autoriser ou d’interdire toute exploitation de leurs publications, notamment par les agrégateurs de presse et les moteurs de recherche.
Farouchement hostile à l’adoption de la Directive, Google refuse dans un premier temps d’appliquer la loi française, imposant à nouveau aux éditeurs et agences de presse de renoncer à demander l’application du droit pour bénéficier de ses services.
Si les éditeurs et agences de presse ont accepté le chantage de Google, leurs syndicats ont, en parallèle, saisi l’Autorité de la concurrence française qui a prononcé le 9 avril 2020 une décision rendue publique faisant injonction à Google de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse.
Il est intéressant de noter que Google a alors tenté de déplacer les négociations vers son nouveau service Showcase en exigeant un partenariat global incluant une nouvelle offre de service et une licence toujours à titre gratuit, de l’exploitation des contenus produits par les éditeurs et agences de presse. À défaut d’acceptation de ce partenariat, les contenus auraient alors reçu une visibilité dégradée.
Considérant que Google n’avait pas respecté ses injonctions, usant de sa position dominante sur le marché pour imposer son service Showcase, l’Autorité de la concurrence l’a condamné, le 13 juillet 2021, à 500.000 € d’amende (la plus forte amende jamais infligée par l’Autorité). Elle lui a aussi ordonné de présenter, dans un délai de 2 mois, une offre de rémunération pour l’exploitation des contenus de presse, sous peine de se voir infliger des astreintes pouvant atteindre 900.000 € par jour de retard.
Force est de constater que, depuis ce bras de fer, des conventions sur la rémunération des droits voisins au titre de la loi française ont été conclues en 2022 entre les syndicats représentatifs des éditeurs et agences de presse d’une part et Google d’autre part ! De surcroît, d’autres pays comme l’Australie ont adopté des règlementations similaires à celle de la Directive.
Grille d’analyse en intelligence juridique
1/ Quand ?
- 17 avril 2019 (publication au J.O.U.E. de la Directive du parlement et du conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique)
- 24 juillet 2019 (adoption de la loi française de transposition de la Directive)
- Éditeurs et agences de presse et leurs syndicats (syndicat des éditeurs de presse magazine - SEPM, l’Alliance de presse d’information générale - APIG, l’Agence France Presse - AFP).
- Prestataires de services de la société de l’information (agrégateurs de presse et autres services de suivi des médias (Google actualités, Yahoo actu, Feedly, Microsoft News, Apple news) // GAFAM
- Institutions européennes (Commission, Parlement, Conseil)
- Institutions françaises (Parlement français (Assemblée nationale et Sénat), Autorité de la concurrence française
- Enjeux : Souveraineté, Concurrence, Lobbying, Influence, e-réputation
L’intelligence économique s’articule autour de trois axes : le renseignement économique, la sécurisation du patrimoine informationnel et l’influence stratégique.
L’intelligence juridique « porte sur tous les aspects légaux de la protection du patrimoine informationnel de l’entreprise mis au service de l’intelligence économique. [C’est une sorte] « d’ingénierie juridique »[2]. (instrument stratégique) mise au service de l’intelligence économique.
Tant l’adoption de la Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique que l’application de la loi française de transposition mettent en exergue des actions d’intelligence juridique :
- action de lobbying de la France pour rallier des Etats membres à sa cause et proposer une règlementation européenne protectrice notamment des éditeurs et agences de presse ;
- action de lobbying des agrégateurs de presse et moteurs de recherche pour éviter l’adoption de la Directive ou, à tout le moins, pour en limiter la portée par l’adoption d’exclusions (courts extraits, liens hypertextes, mots, etc.) ;
- renseignement économique : anticipant le chantage de Google lors de l’application de la loi française, les éditeurs et agences de presse, par l’intermédiaire de leurs syndicats, ont saisi l’Autorité de la concurrence à l’encontre de Google
- renseignement économique : anticipant les injonctions de l’Autorité de la concurrence, Google a fait croire en des négociations de bonne foi avec les syndicats des éditeurs et agences de presse en imposant son service Showcase, service qui ne remet pas en cause son business model et ne reconnait pas les droits voisins des éditeurs et agences de presse;
- e-réputation de Google : les deux décisions de l’autorité de la concurrence ont été rendues publiques. Or, pour Google, le marché européen représente un marché profond et durable de 500 millions de consommateurs, soit le 1er marché économique organisé ;
- influence de la réglementation de l’U.E. : d’autres pays comme l’Australie ont obligé Google et Facebook à payer les éditeurs de presse.
- « Cent cas d’intelligence économique », Nicolas Moinet, Ines Elhias, VA Editions, 20 févr. 2020
- « Directive droit d’auteur : des conséquences directes pour toutes les entreprises », par Par Axel Beelen, Juriste. 17/06/2019, https://www.village-justice.com/articles/directive-droit-auteur-des-consequences-directes-pour-toutes-les-entreprises,31787.html
- « Le nouveau droit voisin des éditeurs de presse : un coup d’épée dans l’eau ? », Anne-Laure Caquet, Avocat, 25 juin 2019, https://www.village-justice.com/articles/nouveau-droit-voisin-des-editeurs-presse-coup-epee-dans-eau,31117.html
- « Droit d’auteur : Aperçu de la directive finalement adoptée », Axel Beelen, Juriste, 15/04/2019, https://www.village-justice.com/articles/droit-auteur-apercu-directive-finalement-adoptee,31231.html
- « Travaux de la commission de la culture sur la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse », 14/04/2022, Sénat, https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201901/droit_voisin_au_profit_des_agences_de_presse_et_des_editeurs_de_presse.html#c663203
- « Droit voisin : le Sénat au chevet des éditeurs de presse », Par Nawel Erraji, le 24/01/2019, Public Sénat, https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/droit-voisin-le-senat-au-chevet-des-editeurs-de-presse-137204
- « Droits voisins : l’Autorité fait droit aux demandes de mesures conservatoires présentées par les éditeurs de presse et l’AFP », 09/04/2020, https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/droits-voisins-lautorite-fait-droit-aux-demandes-de-mesures-conservatoires
- « L’Autorité de la concurrence au secours du droit voisin des éditeurs et agences de presse », Philippe Mouron | 28 août 2020, https://duckduckgo.com/?q=directive%20%C3%A9diteur%20de%20presse%20direct%20autorit%C3%A9%20de%20la%20concurrence%20village%20justice+site:la-rem.eu&t=newext&atb=v279-1
- « Rémunération des droits voisins : l’Autorité sanctionne Google à hauteur de 500 millions d’euros pour le non-respect de plusieurs injonctions », 13/07/2021, https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/remuneration-des-droits-voisins-lautorite-sanctionne-google-hauteur-de-500
- « Droits voisins : Google sanctionné d’une amende de 500 millions d’euros par l’Autorité française de la concurrence », 13/07/2021 le Monde avec AFP, https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/13/droits-voisins-le-gendarme-francais-de-la-concurrence-impose-une-amende-de-500-millions-d-euros-a-google_6088120_3234.html
- « Droits voisins du droit d'auteur: Google trouve un accord avec la presse magazine », France 24, https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220415-droits-voisins-du-droit-d-auteur-google-trouve-un-accord-avec-la-presse-magazine
- « Droits voisins : nouvel accord entre Google et les éditeurs de presse », Fabienne Schmitt, 3 mars 2022 https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/droits-voisins-nouvel-accord-entre-google-et-les-editeurs-de-presse-1390899
- « Google accepte un cadre de négociation avec les éditeurs et agences de presse » 21 juin 2022, par l’Autorité de la concurrence,
- « Quand le digital défie l’état de droit », Olivier Iteanu, 2016, éd. Eyrolles,
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